Le noble art de la rue qu’est le rap s’est ouvert à un public très large lors des dernières décennies. Nombreux sont désormais les glossateurs urbains qui s’évertuent à proposer styles et symphonies tous plus variés les uns que les autres; du rap nuageux (cloud rap) à la trap rap (style particulièrement violent popularisé par la communauté transgenre de San Francisco dans les années 90) en passant par le désormais célèbre rap de youtubeurs. Mais une question persiste toujours : Quelle est l’essence même du rap ? Cet art peut-il s’ouvrir à la portée du premier bourgeois s’ennuyant le dimanche ou doit-il répondre à des codes immuables suintant bon l’odeur de transpi du bas des blocks ?

Et oui, de nos jours tous les profils de rappeurs coexistent et évoluent dans un entre-soi de suçage complaisant et ce dans l’hypocrisie la plus pure. Une situation intolérable si l’on s’en réfère à la thèse prédominante parmi le corps des intellectuels et autres têtes pensantes de cet art sophistiqué qu’est le rap : “Maintenant y’a toute une bande de fils à papa, même pire : de fils de putes ils ont jamais eu aucun problème avec la justice t’as vu. Eh gros sayer ils prennent la place des gens comme moi, qui sont nés au bled, broliqués chargés, qui ont été dans la rue toute leur putain de vie et qui du coup ont vraiment quelque chose à raconter t’as vu ? Moi j’ai pas les maisons disque avec moi. Moi je vendais du shit en troisième, c’est ça qui intéresse le public c’est ce genre de récit que les clients veulent. Ils veulent voyager dans un imaginaire qui fait rêver et les changent de leur quotidien de merde t’as capté ?” déclare à notre micro Mahmoud, aspirant rappeur depuis ses 14 ans et qui enregistre ses freestyles depuis l’appartement de sa mère comme il le confie dans un entretien à la sortie de son rendez-vous avec la conseillère pôle emploi.

A en croire ces allégations, des interprètes tels que Roméo Elvis ou Lomepal, pourtant très populaires parmi les amateurs de rap ne devraient purement et simplement pas exister sur la scène urbaine et devraient mourir (c’est malheureusement la seule solution) tant leur musique est d’une part nulle à chier mais aussi et surtout tant elle est aux antipodes des conventions du vrai rap, le rap sale et cruel qui dénonce cette chienne de vie.

Fort heureusement, l’appel des afficionados authentique du rap a été entendu et a été gratifié de l’apparition fracassante du « M ». Le « M » est un rappeur qualifié d’enragé, à défaut d’être engagé, qui a fait l’effet d’une véritable bombe sur la planète rap. Textes d’une violence inouïe, visage démoniaque, gestuelle frénétique d’un membre du cartel des zetas sous acides et surtout street-crédibilité, voilà les caractéristiques qui décrivent le jeune Marvin Tillière, qui a renié son véritable nom pour se rebaptiser le « M » en référence à l’un des légendaire burger de l’enseigne Mac Donalds que le rappeur précise, en off, être son préféré.

Découvrez-donc la vie, l’œuvre et les raisons du succès du fougueux Tillière qui est venu foutre un coup de pied dans la fourmilière pour annihiler tous les gayzous du rap moderne et refaire de son art un vrai sport de bonhommes. Et le mieux dans tout ça : il est français. Pour une fois nous n’avons rien à envier au rap US, souvent cité comme exemple pour nos chanteurs en manque d’inspiration. Enfin un artiste que l’on ne pourra pas nous enlever, en voilà une véritable fierté nationale !

« Gotham » le clip du tube de Marvin Tilliere

Un soin apporté à l’esthétisme

3 minutes et 58 secondes : Il n’en faut pas plus au « M » pour repousser les limites de tout ce qui avait été fait dans l’histoire des clips musicaux. Véritable claque d’esthétisme, « Gotham » s’ouvre sur une introduction volontairement muette, pour renforcer le coté épique de l’arrivée du héros, durant laquelle le « M » gravit bravement une colline rocheuse à la seule force de ses biceps. « En vrai j’aurais pu marcher comme tout le monde, la colline n’est pas si pentue que cela, mais je voulais montrer que j’étais sportif et que vrai homme pas marcher. Vrai homme ramper virilement comme singe fort » confiera plus tard le rappeur.

Notons également la beauté des paysages. Initialement prévu pour être tourné dans le désert du Nevada, le tournage fut finalement relocalisé dans la campagne de l’Aragon en Espagne pour causes budgétaires : « C’est moins stylé mais ça fait le taf« . L’aspect désertique des lieux n’est pas un choix laissé au hasard. Il symbolise ici la situation du « M » dans le rap game : seul contre tous, à des années lumières de la concurrence qui ne joue de toutes façons pas dans sa catégorie.

Sensible à la beauté des visuels, l’équipe de production n’a d’ailleurs pas lésiné sur la création d’effets spéciaux de très bonne facture. Plusieurs incrustations de toute beauté viennent illustrer et appuyer les propos de l’artiste à divers moment de la musique. Les yeux de Marvin prennent tantôt feu via des effets dignes des meilleures productions de James Cameron et des impacts de balles viennent cribler l’écran dans un rendu photoréaliste aux petits oignons nous faisant même parfois craindre pour notre propre vie ! Les gerbes de sang explosent de partout dans une folie jouissive, des éclairs violets transpercent l’écran et s’abattent sur le spectateur qui reste béat devant tant de frénésie… Il n’y a pas à dire, le « M » fait la leçon au 3/4 des rappeurs US avec sa super production. Pas mal non ? C’est français.

Un montant avoisinant les 750€ aurait été investi pour la réalisation du clip. Un record pour l’industrie du rap français

Des lyrics sales au possible

Mais si le clip impressionne, qu’en est-il des textes ? Là encore le « M » nous régale d’un sans faute :

Les présentations sont concises avec le « M ». Trêves de discussions stériles : il annonce vouloir changer pour une fois d’identité et être renommé très précisément « Le M j’ai la dalle » l’espace de cette chanson, comme le démontre l’absence de ponctuation.

Le « M j’ai la dalle » récite ici à l’infinitif ses trois mantras : écouter, regarder mais surtout… ne jamais égaler. Des élucubrations mystérieuses mais qui dépeignent la mentalité d’un personnage empli de résilience, fidèle à des codes moraux que lui seul peut comprendre.

Des spécialistes débattent encore sur la signification de la deuxième phrase : Marvin est-il un éjaculateur précoce prêt à jouir à peine son sexe sorti ou le texte a-t-il une signification plus profonde, la semence du « M » étant objet de convoitise des auditeurs en soif du génie créatif de l’auteur et sa bite étant, par extension, l’outil prodiguant le savoir ?

Nous nous avouons vaincus. Même nous qui avions réussi à décrypter les écrits complexes du talentueux Kaaris lors d’un précèdent article nous retrouvons impuissant face à cette punchline. Ils essayent de te faire quoi ? Qui ? Comment ? Pourquoi 1000 balles ? Même les contributeurs du site rap genius, pourtant réputé pour abriter les cerveaux du lyricisme, semblent incapables de saisir la proposition du « M ».

Aux manettes de son hélicoptère de combat (pourtant pas présent dans le clip), Marvin annonce utiliser son jouet pour faire jaillir le sang, ce même sang qui finira inexorablement par terre ce qui semble déranger le « M » qui est une véritable fée du logis une fois les caméras coupées. Notons aussi la rime d’une richesse rare entre « y’a du sang par terre » et « y’a du sang par terre ».

A travers cette punchline agressive, de nombreux auditeurs ont vu une pique adressée à un autre rappeur : le célèbre Morsay qui s’était vanté de détenir une « fusée d’enculé de ta mère » pour faire jaser ses concurrents. La surenchère et la guerre d’égo… Deux des caractéristiques viscérales du vrai rap.

Le « M » est un être incapable de sentiments. Il se dit prêt à dénoncer ses potes et tous les membres d’un son organisation criminelle un par un pour quelques deniers. Nous n’en attendons pas moins d’un rappeur qui se prétend « Original Gangsta » et qui a les codes de la rue dans le sang.

Non content de baiser ses potes, le Judas du rap game ne compte pas en rester là et annonce en grandes pompes vouloir copuler avec le reste de la planète, hommes et femmes sans distinctions. Un fait sur lequel il semble insister ardemment comme le montre la répétition obsessionnelle de sa punchline.

Le refrain reste dans la même fibre que les couplets : arrogant et mystique. En pleine montée d’Egotrip, Marvin semble chercher en vain des adversaires digne de tester son alter-ego le « M ».

Précision importante : Il annonce également être noir de peau depuis tout petit. Sa pigmentation n’ayant bizarrement pas changé au cours de sa croissance. Le corps du rappeur semble donc être doté d’aptitudes surhumaines, mais qui peut donc bien être capable de tester ce Marvin alors…

… Et bien ce n’est sûrement pas cet enculé de Ra’s a-Ghul qui sera un jour digne d’affronter le « M » comme le déclame Marvin avec assertion. Ce dernier n’hésite pas, avec le courage impétueux qui lui sied bien, à prendre tous les risques en clashant ouvertement en fin de morceau le personnage fictif de Ra’s a-Ghul (antagoniste de Batman). Le « M » n’a décidemment pas froid aux yeux ! Le début d’un nouveau beef en perspective ?

Un déchainement de gestuelle agressive

Dernier point, mais pas des moindres : la gestuelle toute particulière du « M ».

Indéfinissable, le style du « M » est unique et détonne fortement de la gestuelle de p’tit PD à mains ballantes de ses congénères. Le Marvin, lui, est un gadjo sacrément énervé. Ses mouvements sont frénétiques et belliqueux au possible et ne semblent répondre à aucun raisonnement logique.

Le « M » use et abuse des postures violentes et applique son savoir des sports de combat à la lettre, dommage qu’il soit le seul acteur de la vidéo et que, par conséquent, toute sa palette technique soit inutile. Toujours est-il que son allure reconnaissable parmi tous (bien qu’il emprunte à certains passages la technique ancestrale du « Double Fuck » créée par Kaaris) provoque un effet indéniable sur le public. Un sentiment de « trop plein », à la limite de la suffocation, envahit l’auditoire du « M » à chacune de ses performances. Celui qui se fait appeler « le chien fou » dans le milieu surenchérit dans la violence sans que personne ne soit capable de l’arrêter. Comme le démontre les nombreuses fois ou il fait mine de se mordre le poing pour contenir sa rage, un peu à la manière des racailles de cité quand ils font semblant de se retenir avant la bagarre.

Le Double Fuck est une figure s’inspirant des anciens du rap extrêmement difficile à réaliser

Vous pouvez d’ailleurs faire le test à la maison : quelque soit la seconde à laquelle vous faites « pause » sur le clip de Marvin, ce dernier affichera à chaque fois une tête démoniaque, rictus sadique de psychopathe écumant de salive et sourcils froncés comme un daron turque respirant la hargne et l’envie de goumer sa progéniture homosexuelle. Ca marche à tous les coups je vous jure !

Mais cet effet déroutant est recherché. Le but du « M » n’a toujours été que de repousser les limites du rap sale, d’incarner à lui seul la quintessence du voyou originel et de pousser ainsi la personnification de son art à l’extrême jusqu’au point de non retour. Le « M » démontre ici que l’art n’a pas que pour seul fonction d’être « beau », d’être « plaisant et confortable à regarder » non. Pour M. Tilliere l’art est un moyen de choquer, de surprendre le public et de le faire se questionner

Qui est le « M » ? Quel est son vécu ?

Avec son rap d’une violence inégalée et son image de bad boy totalement authentique, il parait donc clair que notre « M » national (et on parle pas de l’autre tafiole de guitariste) a ce que l’on appelle communément chez nous dans la street : un vécu.

En effet, Marvin Tillieres est loin d’être un fragile. En 2016, le jeune éphèbe intègre l’émission Secret Story avec pour mission de cacher le secret suivant : « Je suis noir depuis tout petit ».

Le « M » fait fortement parler de lui dans la maison des secrets, usant de son caractère de mâle alpha de Boulogne Billancourt il s’accouple en soumettant par une prise de MMA une championne de carwash, Maeva Pellerin avec qui il aura une relation ponctuée de scandales en voulant recréer l’idylle de Chris Brown et Rihanna revisitée à la sauce française. Mais en définitive, il est contre toute attente exclu de Secret Story 10. Selon La Voix, il aurait eu une attitude intolérable avec d’autres candidats. Qui l’eut cru ?

Il participera ensuite à bien d’autres programmes de qualité passés à la postérité tels que les Princes et les Princesses de l’Amour, les Anges de la téléréalité et surtout Moundir et les Apprentis Aventuriers. Ses aventures seront rythmées par de nombreux clashs et pleurnicheries face caméra lorsque d’autre candidats décideront de voler ses bananes du petit déjeuner ou de parler devant sa cabane de luxe perturbant ainsi sa tranquillité. Il failli se battre avec l’un d’entre eux, mais oui il a vraiment failli, heureusement que la production les a séparé parce c’était chaud ! Attention à Marvin, c’est un gros dur.

C’est donc fort de son expérience en téléréalité et en bagarre qu’il se lance par la suite dans le rap, activité qui à l’avantage d’unir ses deux passions : l’exposition médiatique et le langage ordurier. Avec un tel curriculum, nul ne peut douter de la crédibilité du »M » dans le milieu du rap. Il est ce qu’on appelle un gangster à l’ancienne, loin des acteurs showmans jouant un rôle durant toute leur carrière.

Un rappeur boycotté, censuré et interdit en France ?

Mais si l’image de voyou du « M » pouvait être l’élément qui le conduit à sa perte ? En effet, le rap français s’est rendu compte que forcer le trait sur une personnalité peut parfois se révéler contre-productif. Si une peine de prison comme celle des frères Bigflo et Oli impliqués récemment dans un trafic de drogue ou une bagarre en public à la télé assurent évidemment une médiatisation, les médias mainstream de tafioles (On n’est pas couché, Quotidien) préfèreront cependant toujours inviter des faux rappeurs, gendres idéaux et autres défenseurs du langage inclusif dans leurs émissions.

Marvin Tilliere s’est donc retrouvé ostracisé de tous les médias depuis le début de sa carrière musicale, sa chaîne officielle ayant même été purement et simplement bannie par la plateforme YouTube ayant la main lourde contre les gros mots. Aujourd’hui, il ne reste presque plus aucune trace de l’existence du « M » en tant que rappeur. Les détracteurs et les larbins du système avanceront plus tard l’argument que M. Tilliere aurait « de lui-même supprimé tout son contenu par honte après avoir grandi et commencé à lire des livres ». Une déformation totale de la vérité qui arrange bien la petite bourgeoisie pour qui un chien fou comme le « M » était une gêne, un bug dans la matrice de leur monopole culturel.

Le « M » est donc un artiste revendicateur, censuré et qui dérange le système. Mais c’est comme cela : il n’a pas choisi le destin de la street, la street l’a choisi.

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Le M est également un homme humble

Article rédigé par : Gunther

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